Jean Marcel, est un professeur, essayiste, romancier, critique littéraire et poète québécois qui a choisi, pour sa retraite, de vivre en Thaïlande. Il professe la religion catholique, non sans une réelle sympathie pour le bouddhisme.
Gope est une maison d’édition indépendante ayant pour vocation de faire découvrir la Thaïlande, la Malaisie ou Hong Kong par le livre.
Voici comment le traducteur présente cet ouvrage :
« Barlaam et Josaphat est un récit qui relate la vie d’un saint chrétien qui aurait vécu jadis en Inde (pays d’origine, justement, du Bouddha) ; son histoire retrace exactement la même voie que suivit le Bouddha : fils d’un roi, on prédit à sa naissance qu’il deviendra maître d’un grand royaume de nature spirituelle ; le père, qui entend bien plutôt que son fils lui succède sur le trône, entoure la vie de son fils de mille précautions afin qu’il soit élevé dans l’ignorance des vicissitudes du monde. Or, un jour, le prince sort du palais où il est reclus et rencontre un lépreux, un vieillard et un cadavre, par qui lui est révélée l’existence de la maladie, de la vieillesse et de la mort – pour tout dire, de la souffrance humaine. Puis, le prince fait une quatrième rencontre : celle d’un moine (Barlaam, pour Josaphat) qui lui enseigne l’ascétisme. Le prince quitte le palais afin de poursuivre sa quête spirituelle jusqu’à ce qu’il ait enfin trouvé la vérité, sous la forme de l’Illumination pour le Bouddha, sous la forme de la Révélation pour Josaphat, non sans avoir connu l’un et l’autre les tentations du mal incarné : Mara, tentateur du Bouddha, Satan, tentateur de Josaphat. Cet ouvrage est agrémenté de reproductions (en noir et blanc) de peintures qui ont été réalisées au XVe siècle pour illustrer une des innombrables versions de Barlaam et Josaphat. »
Innombrables, les versions de ce texte largement ignoré par nos contemporains ?
Oui, comme nous l’apprend l’avant-propos :
« La plus ancienne attestation d’une vie de saint Josaphat, un texte rédigé en grec au VIIe siècle par un moine chrétien du nom de Sabbas a dû être précédée de plusieurs textes perdus qui devaient remonter jusqu’à une source indienne primitive ; il a en tout cas été suivi de nombreux autres, puisque nous possédons encore aujourd’hui, parmi les versions les plus anciennes de la légende de Josaphat, des textes en syriaque, en arabe, en hébreu, en géorgien. Il n’est donc pas étonnant de voir ensuite la légende se répandre, dès le Moyen Âge, sans doute par des marchands orientaux qui la colportaient, dans les diverses langues d’Europe : d’abord et bien sûr en latin (XIe-XIIe siècles), la plus célèbre étant
La légende dorée de Jacques de Voragine ; puis en allemand, en vieux norois, en suédois, en occitan, en portugais, en vieil anglais, en russe. Dans le domaine français proprement dit, les premières attestations remontent au début du XIIIe siècle, et depuis lors les manuscrits pullulent : une quinzaine – ce qui est considérable, lorsqu’on songe que la plupart des œuvres du temps nous sont le plus souvent connues par un manuscrit unique, ou à la rigueur par deux ou trois copies. La biographie du Bouddha a été surtout connue, dans les pays limitrophes de l’Inde, par un texte sanskrit du IIe siècle de notre ère intitulé le
Buddhacarita… Quant à savoir comment et par qui le Bouddha est devenu un saint chrétien, cette alchimie nous est inconnue. »
On peut donc rêver. Puisque l’Inde a été dès les origines du christianisme, évangélisée par saint Thomas ; imaginons-le arrivant dans un pays où il rencontre, à son grand étonnement, des religieux qui, sans avoir entendu le Sermon sur la Montagne, pratiquent, depuis plusieurs siècles déjà, quelques-unes des béatitudes : Ils sont volontairement pauvres, non seulement en esprit, mais en fait. Ils sont doux, ils sont pacifiques ! C’est trop beau ! Il n’y a qu’à leur annoncer le Christ et leur montrer qu’il illumine leur pratique et leur révèle une vie trinitaire incomparablement plus joyeuse que le nirvana. Il en convertit ainsi un nombre suffisant pour que, saint François Xavier, débarquant en Inde, ait été tout surpris d’y trouver une chrétienté déjà installée. D’où la création de cette légende du Bouddha christianisé par Barlaam sous le nom de Josaphat. Avant d’être écrite, elle a dû passer par une multitude de bouches et une grande variété d’idiomes pour que Buddhacarita devienne Buddaasf en syriaque, puis Buudaasaf en arabe, et Ioasaph en grec – d’où ensuite le Josaphat des textes latins et par conséquent dans toutes les langues occidentales où la légende a été traduite et diffusée.
Le rédacteur français anonyme du présent texte le termine par ces mots :
« Certains, qui avaient connu la vie de ces deux grands hommes me la racontèrent, et je l’ai écrite en langue romane de la manière même qu’ils me la transmirent. »
Il est clair qu’il ne connaît rien au bouddhisme ni à l’hindouisme. Il se représente le père de Josaphat comme une sorte d’empereur romain cruel et persécuteur et les ermites qui accueillent le nouveau converti comme les chrétiens des premiers siècles, prêts au martyre. C’est un moine qui écrit pour des moines, ne cessant de présenter le renoncement au monde qui passe et la vie ascétique comme le plus droit chemin pour accéder au bonheur stable de la vie éternelle. Toutefois, il fait une incursion dans le monde lorsque Josaphat converti est contraint par son père à exercer la royauté dans une de ces provinces. Bien préparé à cette tâche par sa vie de prières et de méditations, il se montre un roi juste, bon organisateur d’une société qui n’a rien d’une république laïque. L’essentiel du texte est une sorte de catéchisme prêché par Barlaam à Josaphat puis par Josaphat à son père qu’il finit par convertir et voir mourir en odeur de sainteté.
Jean-Marcel dédie son ouvrage « à la mémoire du père
Ray Brennan (1933-2003) rédemptoriste missionnaire au Siam, qui s’était réjoui de cette initiative », chose bien compréhensible de la part d’un prêtre dont la mission est de témoigner du Christ devant des adeptes d’un bouddha qui ne s’est jamais prétendu dieu, et qui pourtant trône comme une idole dans une multitude de temples. Mais alors, pourquoi ne pas le traduire plutôt en thaï ?
Qu’est-ce que l’auteur de ce conte simpliste, rugueux, aussi archaïque qu’une sculpture romane, a à dire, du fond des âges, aux Français du XXIe siècle ?
Ceci, peut-être :
« La société hédoniste, la longue vie individualiste en paix et santé, où veulent vous enfermer les “transhumanistes”, est aussi ennuyeuse que celle du palais dont le jeune bouddha rêve de sortir ; il finit par sortir et découvre enfin que la vie est tragique, et qu’il faut faire face à la violence des puissants, à la pauvreté, à la maladie, à la vieillesse et à la mort. Certains d’entre vous ne jurent que par l’écologie et le retour à la nature. Il leur plaira d’apprendre qu’après une longue séparation, Barlaam et Josaphat fêtent leurs retrouvailles par un festin “de chou cru que Barlaam avait planté et de quelques herbes qu’il avait trouvées de par la forêt ; et il y avait une fontaine où boire”. Ils ne sont pas guettés par l’obésité ! Et après ? Idéal un peu court… D’autres sont tentés d’y faire face par le bouddhisme. Allons, allons ! Le bouddhisme est une bonne école de paix intérieure et de maîtrise de soi, mais enfin vous n’allez tout de même pas croire à ces histoires de réincarnation ! Ce n’est qu’une “pierre d’attente”, sur laquelle doit s’édifier, pour votre joie et votre salut, le Corps du Christ.»
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- Le bouddhisme est une religion (notamment une religion d’État) ou une philosophie, voire les deux, dont les origines remontent en Inde au Ve siècle av. J.-C. à la suite de l’éveil de Siddhartha Gautama et de son enseignement.
- Josaphat Koncévitch (1584-1623), martyr, est le premier saint de l’Église gréco-catholique ukrainienne profondément déchiré par la séparation des catholiques romains et orthodoxes, il lutte pour la restauration de l’unité des Églises. Josaphat est béatifié le 16 mai 1643 par Urbain VIII. Il a été canonisé en 1867 par le pape Pie IX. Saint Josaphat est le premier saint gréco-catholique canonisé par Rome.
- Si l’on en croit la tradition locale, l’apôtre Thomas serait arrivé en terre indienne en 52 pour évangéliser le pays, ce qui fait que l’Inde aurait connu une christianisation bien antérieure à celle de l’Europe. Les Églises indiennes étant de tradition syriaque ou syrienne, les historiens pensent que l’arrivée du christianisme en Inde est probablement liée aux échanges commerciaux et culturels avec le Proche-Orient (dans l’autre sens des notions comme celle du zéro sont parvenues en Méditerranée). De nos jours, plusieurs Églises orientales existent toujours au Kerala. Leur histoire est très mouvementée avec de nombreuses scissions et recompositions.
Jacqueline Picoche.